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Nos mythes d'enfance

 

                                              Nos mythes d'enfance

                                               par  Salah Amer-Yahia*.

                                              Le Soir d'Algérie du 28/08/2010

 
Quoique l’auteur du livre Amirouche : une vie, deux morts, un testament, Saïd Sadi, ait déclaré ne pas s’être adonné à l’écriture de l’histoire, force est de reconnaître que son œuvre littéraire a ouvert le débat sur l’histoire contemporaine de l’Algérie, notamment celle de la guerre d’Indépendance, et ce, à la veille de la commémoration du cinquantenaire du départ du colonisateur français. L’auteur, connu comme acteur avantgardiste pour ne pas dire maquisard de la scène politique de l’Algérie indépendante, ne laisse pas indifférent.
Il a réussi à faire délier les langues, voire casser tabous et amnésie. Or, le mal est profond chez nos démagogues plus préoccupés par leurs histoires personnelles que par le respect de ceux qui se sont sacrifiés. On en veut comme preuve cet acharnement aveugle à vouloir déjuger de la qualité des témoignages de compagnons encore en vie d’un de nos héros de la guerre de Libération nationale, MM. Rachid Adjaoud, Djoudi Attoumi, Hamou Amirouche, Mohand Sabkhi, le général Benmaâlem et bien d’autres, pour brandir et préférer les récits de mercenaires de l’armée coloniale ou d’intrigants comme Fethi Dib. Ce dernier, officier des renseignements égyptiens qui avait en charge le dossier Algérie durant la guerre de Libération, vient d’être cité dans El-Khabar Hebdo n°597 dans une contribution de M. Djermane sur ces évènements en débat, notamment le congrès de la Soummam. Comment peut-on arriver à donner du crédit aux mémoires d’un officier des renseignements d’un pays étranger dont le chef, Djamel Abdel Nasser, était politiquement intéressé par l’évolution et l’issue de cette guerre de Libération et mettre de côté, et en doute, les témoignages d’acteurs et cadres de cette guerre qui se trouvaient dans la Wilaya III historique où s’est tenu ce congrès de la Soummam ? Bien qu’avant que cette lecture orientaliste de la guerre de Libération nationale, et en langue arabe, ne commence à s’étaler dans des quotidiens nationaux sûrement à cause des retombées du match Égypte-Algérie, d’autres polémistes se sont échinés à diaboliser le chahid Amirouche en reprenant à leur compte les écrits, et en français, de mercenaires de l’épée et maintenant de la plume, hantés par le Lion du Djurdjura.
La chute de la IVe République française 
Les contradicteurs du livre sur Amirouche parlent de purges, d’épurations, de bleuite dans la Wilaya III avant que ce chef ne tombe dans un traquenard le 28 mars 1959, les armes à la main, à côté de ses compagnons. Or, l’épisode, qui donne des insomnies à ces contradicteurs et rend la Wilaya III douteuse à leurs yeux, est curieusement celui riche en évènements importants de la Révolution algérienne mais fatidiques pour la IVe République française. On n’en citera que deux, auxquels se sont intéressés les pouvoirs français et égyptien. L’opération «L’oiseau bleu» pensée par le gouverneur général Jacques Soustelle, mise en œuvre par des généraux de l’empire colonial (Lorillot, Spillman, Beaufre…) et par laquelle les services secrets de la IVe République française ont armé et équipé des centaines de moudjahiddine en Wilaya III, croyant avoir monté un troisième maquis à côté de celui du MNA de Messali Hadj pour contrer celui du FLN dirigé par Krim Belkacem. La deuxième œuvre, monumentale, fut l’organisation dans la vallée de la Soummam, devenue le centre de gravité de la guerre de Libération, du premier congrès de la Révolution algérienne vingt mois après son déclenchement. Quid de la mission réussie du colonel Amirouche en Wilaya I pour mettre fin aux dissensions et liquidations fratricides qui minaient cette Wilaya et la Révolution après l’assassinat de Mustapha Ben Boulaïd. Tous les griefs soulevés contre la wilaya III tournent autour de ces deux importants faits historiques. Le premier est militaire. Un département de contre-espionnage d’une grande puissance mondiale se fait ridiculiser par des maquisards. Le second est politique. Il a sonné le glas du colonialisme en posant les assises d’un Etat démocratique et sociale tout en contrecarrant les visées hégémoniques du nassérisme et de l’intégrisme religieux. Les acteurs du Congrès de la Soummam furent froidement assassinés : Larbi Ben M’hidi par le sinistre Aussaresses, Ramdane Abane par son compagnon Boussouf après avoir été minorisé par le CNRA éclaté d’août 1957 du Caire. D’autres liquidations de cadres de la Révolution survenues après ce congrès apparaissent au grand jour. Elles étaient et sont revendiquées et présentées comme un danger pour le devenir de cette Révolution par ceux qui ont fini par prendre le pouvoir avant et surtout après l’indépendance. Le cynisme qui entoure et accompagne l’assassinat de Abane Ramdane, l’exécution d’officiers supérieurs de la base de l’Est en novembre 1958 préludent d’évènements que l’entendement humain accepte difficilement. Pour le commun des mortels, les colonels El-Houès et Amirouche furent victimes de trahison en allant à la rencontre de ceux qui ont assumé ces crimes. Par contre, ce commun des mortels n’arrive pas à admettre que leurs corps soient déterrés de la terre qu’ils ont arrosée de leur sang pour être séquestrés durant plus de vingt ans dans les locaux à archives d’une institution de cette République, fruit de leurs sacrifices. Un acte que M. Ali Kafi qualifie à juste titre de crime impardonnable.
Un seul héros, le peuple 
Ce déterrement et cette séquestration des dépouilles des colonels Amirouche et El- Haouès ont été faits au lendemain de la restauration de l’Etat national sur ordre de Houari Boumediene selon les confessions de M. Bencherif. Le président de le République algérienne de l’époque n’a toujours pas réagi à ce crime impardonnable commis sous son autorité et probablement à son insu. Cet impardonnable crime est l’œuvre d’un homme qui s’est placé au-dessus de l’Etat, du peuple et de la Révolution. Le colonel de la Wilaya II et homme d’Etat lui endosse les dérives qu’a vécues et que connaît l’Algérie. Il nous apprend qu’il est arrivé du Caire au QG de la Wilaya V installé au Maroc pour devenir colonel de l’ALN sans tirer une balle dans les maquis de l’intérieur. Cette ascension fulgurante s’oppose et remet en cause son patriotisme et son nationalisme. Son règne sans partage fut bâti sur le prestige d’une révolution et l’héroïsme d’un peuple. Un vrai chèque en blanc que cet adepte de Staline s’est empressé de dilapider à voir les assassinats d’historiques en terre étrangère comme Krim Belkacem, Mohamed Khider… et aussi l’implosion de son système de pouvoir autocratique dès sa mise en terre.
Mythe et réalité 
L’auteur de Sans tabous, sans injures, sans soupçons, Yacine Teguia, paru dans le Soir d’Algérie, se réfère à l’historien anglais Eric Hobsbawm pour classer dans la série mythologie historique cette libre contribution du Docteur Saïd Sadi sur la guerre d’indépendance. Il s’émeut que l’auteur d’ Amirouche : une vie, deux morts, un testament réponde aux critiques soulevées par le colonel de la Wilaya II historique et fait l’impasse sur celles d’acteurs politiques comme Louisa Hanoune. Peut-on mettre sur un même piédestal dans ce débat sur l’histoire un acteur de la Révolution de surcroît homme d’Etat avec un chef de parti ? La sortie de M. Ali Kafi a enrichi le débat sur l’histoire contemporaine du pays. Il a fait réagir les historiens en les accusant d’avoir créé le vide en le domaine au point qu’un psychiatre s’en saisisse. Durant la guerre de Libération, Amirouche était notre mythe, notre idole. La réalité apparaît tout autre surtout cinquante après sa mort au champ d’honneur. L’hommage que lui rend Saïd Sadi n’est que devoir et justice dans l’attente de voir d’autres travaux de réhabilitation de tous nos héros, victimes de l’oubli et, des fois, d’atteinte à leur mémoire. Un exemple vivant vient de nous être révélé par le quotidien El-Watandu 8 juillet 2010 en la personne de Si Larbi Addou, chef du commando Djamel de la Wilaya IV en mission en Wilaya VI, blessé dans la fameuse bataille de Djebel Thameur et qui a vécu avec une retraite de jardinier de l’Ecole interarmes de Cherchell. Loin d’être un mythe, Si Larbi Addou vient d’être réhabilité dans sa qualité de cadre supérieur de la Révolution. La crédibilité de toute œuvre se mesure à l’intérêt que lui accorde celui qui la reçoit, en l’occurrence le lecteur, le citoyen. Dans le domaine de l’histoire comme dans l’éducation, les gestionnaires de la communication et de l’information ont privilégié l’amnésie développée à coups d’interdits et de falsifications de la réalité historique, ancienne et contemporaine. A vouloir verser dans la culpabilisation de l’oppresseur, l’héroïsme de tous les acteurs, illustres ou inconnus, a été effacé des livres d’histoire enseignée à nos enfants. Des images difficilement soutenables sont préférées à celles de nos mythes d’enfance, à leur courage devenu légendaire. Pis encore, certains intervenants versent dans l’apologie de l’oppresseur, des tortionnaires dans leur aveuglement à vouloir attenter à ces héros qui ont mis fin à l’ère coloniale. Serait-ce l’apologie de l’oppresseur qui serait visé, son invincibilité comme s’entêtent certains intervenants, entre autres Ali Mebroukine, à profaner la mémoire d’Amirouche et de ses compagnons ? 
Ecriture de l’histoire
 
Les levées de boucliers et surtout les attaques lancées contre le docteur Saïd Sadi suite à la publication de son dernier livre Amirouche : une vie, deux morts, un testament nous renvoient à la lecture et à l’écriture de notre histoire nationale. Nos initiatives de faire intéresser nos enfants à cette histoire à une époque où tous les symboles de l’Etat algérien étaient déclarés taghout avaient été perçues comme des empiètements dans des espaces privés par des organisations locales, communales et de wilaya. Nos enfants ont été privés de leur passé, de leur identité. Lors d’un inter-lycées organisé par la défunte RTA entre deux établissements secondaires, Tébessa et Tlemcen, les potaches répondaient qu’il n’y avait personne à la question de savoir le nom du plus grand écrivain algérien avant l’islam. La réponse était bien sûr saint Augustin. Cette amnésie sur notre histoire et par conséquent notre personnalité expliquerait- elle cet acharnement contre nos héros ? Sommes-nous condamnés à n’entrevoir d’avenir à l’écriture de notre histoire nationale que pensé par des historiens étrangers ? Aujourd’hui, celui dont tout un chacun est en droit d’être fier pour sa guerre contre Rome a été écrit par Salluste, un siècle après sa mort. Personne n’a émis de doute sur cet écrit d’un descendant de ceux qui l’ont assassiné à Rome. Pour avoir écrit sur nos ancêtres, Ibn Khaldoun n’a échappé à l’oubli que par l’intéressement d’orientalistes. Un demi-siècle après et en commémoration des manifestations de décembre 1960 alors que l’Algérie ne sait pas encore quoi faire de ses cadres qu’elle exporte gratuitement, nos héros attendent de nous que la vérité soit écrite et dite à nos enfants, à nos petits-enfants, à la postérité. Une manière élégante de faire le procès post-mortem du colonialisme qui veut rééditer son opération politique de charme de l’année 1960 en octroyant les indépendances aux autres colonies pour imposer aux Algériens la paix des cimetières. 
S. A.-Y. 
* Président de l’Union des parents d’élèves de la wilaya d’Alger



28/08/2010
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